Mes passions pour le cinéma et le design m’amènent chaque année à les fusionner dans un exercice de synthèse : revisiter les meilleurs moments passés dans les salles obscures et couronner les films qui ont marqué l’année.
Avec 70 films vus en salle, soit un peu plus de 134 heures de projection, il est temps de dresser un bilan, à la fois sur les tendances du cinéma hollywoodien et sur mes coups de cœur (ou déceptions) personnels.
Avec du recul, 2023 a d’abord été marquée par le méga-carton surprise de Barbie, réalisé par Greta Gerwig. Dans un contexte où certains clament "go woke, go broke", ce blockbuster ouvertement féministe et critique du patriarcat s’est imposé comme le plus grand succès de l’année. Ce triomphe confirme la montée en puissance de Gerwig, désormais une figure incontournable du cinéma hollywoodien.
Du côté d’Hollywood, on observe un questionnement général. Tandis que The Marvels et The Flash témoignent de l’essoufflement des films de super-héros, le succès phénoménal d’Oppenheimer a prouvé qu’un film d’auteur pouvait encore triompher. Réalisé par Christopher Nolan, ce drame historique de trois heures allie prestige critique, ambition visuelle et succès commercial inattendu, frôlant le milliard de dollars au box-office. Si peu de réalisateurs misent sur une telle audace aujourd’hui, cette réussite éclatante montre qu’il existe encore un public pour un cinéma d’envergure. Les grands studios, dont les recettes standardisées s’essoufflent, auront peut-être matière à réflexion.
Une autre confirmation cette année est le rôle incontournable d’A24 comme dénicheur de pépites. Ce studio, spécialisé dans des films à petit budget mais riches en créativité, s’impose comme une référence. Dans mon top 3 personnel, les deux premières places sont occupées par des productions A24, preuve de leur impact indéniable.
En ce qui concerne le cinéma français, 2023 offre un bilan contrasté, particulièrement dans le cinéma de genre. Les Trois Mousquetaires, bien qu’ayant évité le désastre en termes d’entrées, reste une déception cinématographique. De même, Vincent doit mourir, malgré un concept brillant, peine à transformer son idée en une œuvre réellement marquante. Heureusement, Le Règne animal s’est imposé comme une belle surprise, prouvant que le cinéma de genre français peut encore surprendre. Enfin, deux films de procès ont marqué la rentrée : Le Procès Goldman et Anatomie d’une chute. Bien qu’ils n’intègrent pas mon top 10, ils restent parmi les grands moments de l’année, illustrant une maîtrise française unique pour explorer les dilemmes humains et sociaux.
Une fois ce bilan rapide établi, place désormais à mes coups de coeurs de l'année... mais également quelques déceptions.
Déceptions de l'année
Quelques déceptions marquantes de l'année méritent d'être évoquées. D'abord, Suzume, le dernier film de Makoto Shinkai (Your Name, Weathering with You), donne l'impression de tomber dans la caricature de son propre style. Les retournements de situation semblent forcés et paresseux, et même la qualité irréprochable de l'animation ne suffit plus à masquer une œuvre qui manque d'âme et donne l'impression d'être en pilote automatique.
Du côté de Disney, Wish se voulait un hommage à un siècle d'animation, mais le résultat peine à convaincre. Entre facilité scénaristique et une exécution trop prévisible, le film s'enlise dans l'ennui.
Quant à Illumination, le défi d'adapter Mario Bros semblait prometteur, mais le studio derrière Moi, Moche et Méchant tombe ici dans ses travers habituels. Pire, cette fois, il échoue à créer des personnages véritablement consistants. Les réinterprétations des figures emblématiques de Mario reposent uniquement sur les clichés des jeux vidéo et quelques gimmicks maladroits de narration ou de réalisation, comme l’usage excessif de musiques sous licence qui parasitent l’immersion. Un résultat décevant, malgré l’immense potentiel de la franchise.
Enfin, certains films, sans être les pires de l'année, s'avèrent tout de même décevants par leur incapacité à exploiter pleinement leurs concepts prometteurs. Yannick de Quentin Dupieux s'essouffle rapidement. Sick of Myself et Dream Scenario de Kristoffer Borgli peinent à maintenir leur souffle au-delà du premier tiers malgré des sujets vraiment intéressants. Quant à Saltburn, malgré une réalisation avec des idées esthétiques évidente, n'arrive pas à confirmer pleinement le statut d'Emerald Fennell comme réalisatrice prometteuse.
Performance de l'année
Impossible de ne pas retenir la performance exceptionnelle de Mia McKenna Bruce dans How to have sex, tant elle tient le film tout du long. Ultra subtile, fragile, nuancée. Elle transforme un film qui aurait pu être un film indé comme tant d'autres en vrai coup de poing.
Notons également, Olivia Colman dans Empire of Light dans une performance à la hauteur de son talent dans un film qui aurait mérité plus de lumière. Brendan Fraser justement récompensé par sa performance dans The Whale que certain·es ont voulu réduire à une fat suit alors qu'il est bien plus que ça. Khalil Gharbia confirme également son talent dans Le Paradis. Enfin Lily Gladstone et Sandra Hüller justifient toutes deux leurs nominations aux cérémonies de récompense avec des performances qui transcendent également leur film respectif.
Réalisation de l'année
Il est toujours délicat de déterminer quelle réalisation nous a le plus marqués au cours de l'année, tant il est complexe de comparer des intentions artistiques si diverses. Un film bien réalisé, à mon sens, est un film où la mise en scène ne s'impose pas au spectateur. Même lorsqu'il y a des effets de style ou des choix de mise en scène marquants, ils doivent toujours servir le récit, sans jamais se réduire à de simples artifices. Mais la réalisation, c’est aussi la somme de multiples décisions techniques – lumière, cadrage, costumes, direction artistique – qui forment un tout cohérent et impactant.
Avec un peu de recul, j’ai le sentiment que les choix de Monia Chokri pour Simple comme Sylvain sont ceux qui m’ont le plus convaincu en 2023. Sa réalisation transcende une romance déjà magnifiquement écrite pour en faire une œuvre inoubliable, un véritable coup de cœur inattendu. La photographie est splendide, et le sens du cadrage d’une finesse rare : chaque plan traduit avec justesse l’état de la relation qui se tisse à l’écran. Ce film est une parenthèse suspendue, un moment d’exception dont l’écho perdure longtemps après la projection.
Cela dit, d’autres réalisateur·ices ont également brillé cette année. Damien Chazelle signe avec Babylon une œuvre grandiloquente où il parvient, malgré l’ampleur de l’entreprise, à insuffler une humanité palpable à cette immense machine. Greta Gerwig, avec Barbie, réussit le tour de force d’éviter tout ridicule, offrant un film aussi intelligent qu’engagé. Christopher Nolan, de son côté, atteint une nouvelle profondeur avec Oppenheimer, un film plus personnel, porté par une mise en scène moins académique et davantage stylisée que dans ses œuvres précédentes. Enfin, Spielberg nous offre avec The Fabelmans l’un de ses travaux les plus personnels. Ce récit biographique semble raviver une implication presque tangible dans sa mise en scène, et le film renferme sans doute l’une des plus belles scènes de l’année : Spielberg filmant Spielberg qui filme sa propre vie.
Places 15 à 4
15. The Fabelmans (dir. Steven Spielberg)
Drôle de sensation à la sortie de The Fabelmans, sorte d'euphorie douce-amère.
Un de ses films les plus intimes, dans la lancée de ce qu'il a fait de West Side Story l'an dernier Spielberg s'attaque frontalement a son enfance. Jamais dans la nostalgie tout en étant super réconfortant, The Fabelmans est aussi la découverte de Gabriel LaBelle excellent au sein de cette famille dysfonctionnelle.
14. Anatomie d'une chute (dir. Justine Triet)
Film de procès génial qui, passé sa première heure longuette, impressionne pas sa minutie d'écriture et d'interprétation. La mise en scène, quasiment scandinave dans son minimalisme, sert constamment son récit. Marquant.
13. Le Procès Goldman (dir. Cédric Kahn)
Dysfonctionnement et racisme dans la police, antisémitisme, maccarthysme, intersectionalité... incroyable de constater la contemporainité du procès Goldman.
Dingue aussi de se dire qu'il a fallu 50 ans pour le mettre en image mais ravi que ce soit fait de cette manière. Tous les acteur·ices sont parfait·es et la mise en scène dépouillée de Kahn et ses partis pris servent constamment ce récit d'une rare justesse.
12. How to Have Sex (dir. Molly Manning Walker)
Totalement transcendé par son actrice principale qui donne au film son essence, How to have sex est je pense typiquement le fil auquel on accroche ou pas. Sur moi la réalisation documentaire mais sensible et les regards de Mia McKenna-Bruce ont fonctionné. Utile, singulier et relatable.
11. Marcel le coquillage (avec ses chaussures) (dir. Dean Fleischer Camp)
Ultra créatif, attachant, génialement mis en scène et fourmillant d'idées ; Marcel le coquillage est un exemple parfait du film réconfortant qui ne prend pas les enfants pour des idiots. Brillant !
10. Le Paradis (dir. Zeno Graton)
Je ne sais pas si c'est la mise en scène ultra sensible et tendre de ce premier film, ou la confirmation du statut d'étoile montante du cinéma français de son acteur principal (et de Eye Haïdara décidément impressionnante quelque soit le registre) mais quelle belle surprise.
Le film évite tous les écueils du coming of age gay au profit d'un film passionnel qui parvient en 80 minutes d'à la fois réussir le développement de son personnage principal, ceux des autres jeunes et aussi créer des moments de disgressions qui donnent son âme au film !
9. Elementaire (dir. Peter Sohn)
Certains voient dans Élémentaire les limites de la recette Pixar, je peux comprendre pourquoi. Mais personnellement l'assaisonnement que rajoute Élémentaire a totalement fonctionné sur moi. Une histoire d'amour universelle, ultra créative dans son univers et vraiment touchante et intimiste dans ses ressors narratifs avec en plus une VF de qualité...
Dur de faire plus satisfaisant.
8. Spider-Man : Across the Spider-Verse (dir. Joaquim Dos Santos Kemp Powers, Justin k. Thompson)
Tellement génial que quand le générique de fin est arrivé j'ai cru à une blague tant j'ai pas vu les 2h20 passer.
J'avais trouvé le premier sympa sans plus mais je suis estomaqué par la réussite sur tous les points de cette suite qui se finit par sa seule note amère : le fait de devoir attendre 9 mois la conclusion de ces personnages dont la justesse du développement met a l'amende 95% des blockbusters hollywoodiens.
7. Simple comme Sylvain (dir. Monia Chokri)
Beaucoup aimé Simple comme Sylvain qui malgré son personnage principal détestable est un objet cinéma adorable. Porté par son duo d'acteur et sa mise en scène pleine d'idées, c'est une grande histoire d'amour qui devient particulièrement géniale quand elle arrive à universaliser son propos.
6. Babylon (dir. Damien Chazelle)
Ne laissez pas les bande annonce (et la durée) vous décourager de Babylon. Le film est beaucoup moins superficiel que le laisse penser sa longue intro.
Une ode au cinéma paradoxale, jusqu'au-boutiste et généreuse magnifiquement mise en image.
Un film qui se permet tout sans jamais tomber dans le caprice.
Une photographie à tomber (dont l'absence de nomination aux Oscars est tout simplement incompréhensible).
Et en conclusion, un paradoxe. Celui d'à la fois abhorrer les excès que le métier passion engendre puis nous rappeler à l'issue d'une conclusion géniale que le cinéma, pour peu qu'on l'aime un peu, nous fait vibrer et grandir.
Une démonstration cynique ultra radicale qui fait de Babylon un vrai feelbad movie. Un grand moment de cinéma dont, passé ses qualités plastiques et de grand spectacles indéniable on se demande ce que l'on voudra bien retirer.
Déjà mythique.
Le Top 5, le mieux du mieux
5. Godzilla Minus One (dir. Takashi Yamazaki)
Godzilla Minus One est du cinéma grand spectacle super spectaculaire et sont les inspirations rétro ne sont jamais artificielles.
A l'ère ou les films US gros budget se confondent en bouillie de pixels mal éclairés, c'est un vrai vent de fraîcheur qui est un récit anti militaire qui place ses espoirs dans ses incarnations humaines.
4. Winter Break (dir. Alexander Payne)
Immensément aimé Winter Break, une vibe a la Licorice Pizza dans son côté vintage pas juste plastique mais aussi sur une vraie façon de faire les films différemment qu'aujourd'hui. Trio d'acteur ices exceptionnel·les, et réalisation tout en nuance. Coup de coeur. (La fin est un vrai déchirement doux amer)
3. Toute la beauté et le sang versé (dir. Laura Poitras)
Bouleversé par la force de Toute la Beauté et le Sang versé. On passe des larmes à la colère dans ce récit réussi à tous les niveaux (que ce soit dans la rétrospective de la vie one-of-a-kind de Nan Goldin mais aussi son combat dans la crise des opiacés). Immanquable
2. Aftersun (dir. Charlotte Wells)
Aftersun est un moment volé qu'on est parfois presque gêné de regarder tant son intimité sonne juste. Récital d'un talent qu'on découvre, la jeune Frankie Corio, et d'un autre qui confirme, Paul Mescal.
Lancinante et bouleversante, Aftersun est une de ses oeuvres dont il est compliqué de savoir pourquoi elle fonctionne si bien.
1. Past Lives (dir. Celine Song)
Compliqué de comprendre ce qui fonctionne autant dans Past Lives. Ce qui fait que soudainement on a les yeux embués. Tout sonne juste devant la caméra de Céline Song. Un de ces films dont l'aspect exceptionnel est dur à expliquer et concrétiser mais qui est par essence ce que je cherche le plus au cinéma.